Texte de Caroline Prosper
Les 26, 27 et 28 décembre 1999, deux tempêtes consécutives de type bombe, nommées Lothar et Martin, traversaient l’ouest de l’Europe, avec une violence encore jamais enregistrée dans les terres. Elles causèrent quatre-vingt-douze morts, quinze milliards d’euros de dégâts, la destruction de 144 000 hectares de forêts publiques et quarante-cinq millions de m3 de chablis. 1
J’ai instinctivement pensé à ces événements lorsque j’ai vu le travail de Paul Souviron pour la première fois, et je me suis questionnée sur cette résonance.
Ses sculptures, souvent façonnées à partir des matériaux naturels « bois pierre terre », ont évidemment quelque chose de sylvestre. Features of Jupiter est un « objet croisé », à la fois branche de bois rondement taillée à une extrémité, et poutre avec néon intercalé, à l’autre. Instead ofest composée d’une carte postale portant l’illustration d’un rocher, et d’une petite construction en pierre ponce qui rappelle les caractéristiques formelles et matérielles dudit rocher. Dernier exemple choisi, Animal homini animal est est une composition plus complexe: une rampe de lancement en bois mène d’un côté à la représentation d’un tigre sur un puzzle, de l’autre à un vivarium, tandis qu’une ponceuse branchée à une prise repose sur le sol. Les animaux, qu’ils soient prédateurs ou proies, occupent une place importante : aigles royaux, chiens de chasse ou de salon, faisans… Si vues de loin ces pièces peuvent paraître rustiques, comme bricolées, de près on remarque nettement le souci du choix et du détail. Sans partir dans des délires millénaristes – on nous sert des scénarios catastrophes en veux-tu en voilà depuis quinze ans – j’y vois toutefois un mode d’organisation prévisionnelle de survie, ou du moins la construction d’un paysage de la survie, avec les problématiques de l’habitat d’urgence, de l’attaque et de la défense, de la conservation et de la transmission du savoir. Paul Souviron s’interroge sur la capacité de l’espèce humaine à résister, à se restructurer et à se réinventer, quand il ne resterait plus rien ou peu des lieux de vie habituels, des infrastructures et des ressources naturelles. Plus encore, il interroge sa capacité à épuiser ces ressources naturelles et à saborder les services écologiques que lui rendent les écosystèmes. Ses œuvres révèlent l’entêtement de l’Homme à anthropiser le monde qui l’entoure, et ce alors même que des scientifiques avancent l’hypothèse d’une nouvelle époque géologique, qui succèderait à l’Holocène, et qu’ils désignent sous le néologisme d’Anthropocène 2.
Il y a bien des choses à dire sur le travail de Paul Souviron 3. Mais c’est de la part d’ombre qui existe dans celui-ci dont je voulais parler. Bon nombre de ses dispositifs sont en effet des objets à potentiel violent qui, s’ils étaient activés, provoqueraient une action ou un enchaînement d’actions, un effet domino. Car il y a toujours un mouvement possible ou un mouvement en suspension, quelque chose sur le point de se passer. Le regardeur quant à lui est un témoin en attente de ce qu’il ne verra pas. Ici, la menace est plus forte et plus irradiante si elle reste silencieuse et immobile.